Prolifération des armes légères: prévenir le drame dans le Macina.

085Le Secrétaire général de l’ONU, Dr Boutros Boutros-Ghali, a consacré en 1994, un agenda spécial pour appeler l’ensemble de la communauté internationale à ouvrir une nouvelle ère de paix et de sécurité fondée sur le micro-désarmement. Il a notamment fait procéder à une évaluation exhaustive de la situation en Afrique de l’Ouest.

La déficience dans les données statistiques

Al002

Au Mali, nous sortions d’un conflit armé à la suite duquel conflit, se succédaient vol à main armée, enlèvement de véhicules et de biens de toutes sortes et la montée en flèche des crimes de sang. Pourtant une cérémonie, au nom assez symbolique : « la flamme de la Paix » venait d’avoir lieu, et les armes de la rébellion touareg devaient passer sous contrôle de l’état ou être détruites.

Kofi Annan, le successeur de Boutros-Ghali, a également réservé un agenda spécial dédié à la prolifération des armes légères. Il a convoqué, en juillet 2001, une conférence internationale au siège de l’ONU, à New York, au cours de laquelle, il a qualifié les armes légères de véritables « armes de destruction massive » et a lancé un vibrant appel au contrôle effectif de ces armes par dispositions législatives et réglementaires.

La préoccupation affichée par les différents responsables diplomatiques et politiques est assez expressive. Elle dénote des deux grandes problématiques, à savoir les statistiques de plus en plus macabres de victimes, d'une part, et surtout le contexte explosif de l'extrémisme violent qui prend de plus en plus d’ampleur, d’autre part.

En réalité, les armes dites légères, n’ont de léger que le nom. Ils se dit qu'elles font plus de morts que le sida et le paludisme réunis.

Sous le vocable "armes légères" se regroupent toutes armes pouvant être portées ou transportées par un individu ou une équipe réduite, parfois montées sur un véhicule léger, et qui ne nécessitent pas de maintenance spécifique. Ce sont les armes blanches (couteau, coutelas, machette coupe-coupe, etc.), les armes à feu de moins de 100 mm de diamètre ou armes de poing (pistolet, revolver, fusil de chasse ou d’assaut, mitraillette, mitrailleuse), grenades, mines terrestres, lance-roquettes, mortier portatif etc.

Ces armes ont fait en Afrique plus de 20 millions de tués, 5 millions de handicapés, 14 millions de sans-abri sans compter les centaines de milliers d’enfants soldats (cf Z. Moulaye, Gouvernance démocratique de la sécurité au Mali. Friedrich Ebert Stiftung Bamako - décembre 2005).

Mais à ce jour, rien ne donne d’indication sur les quantités réelles d'armes qui échappent au contrôle des états.

Les tentatives d’estimation font très souvent état du marché global des armements en volume monétaire. Selon JEUNE AFRQUE L’INTELLIGENT N° 2271 du 18 au 24 juillet 2004, … Sur les 150 conflits qui ont éclaté depuis la fin de la seconde guerre mondiale, 9 sur 10 se sont déroulés dans des pays du Tiers Monde. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord dépensent chaque année 12 milliards de dollars pour l’achat d’armes, davantage que l’Amérique latine (0,7 milliard), l’Afrique subsaharienne (0,9 milliard) et l’Asie (8 milliards) réunies. Durant les années 1990, les dépenses militaires en Afrique subsaharienne ont crû de 47%.

Il y aurait 8 millions d’armes légères en circulation en Afrique de l’Ouest, ce qui fait de cette région l’une des plus instables du Continent.

Voilà pour les statistiques. Sans langue de bois, nul ne sait combien d'armes circulent en Afrique à ce jour. Ni globalement, encore moins par pays. Cependant, le ratio 3/1 d'armes individuelles par combattant lors de différents conflits que la région a connu, ne semble ni exagéré, ni ridicule (ce ratio ne sera jamais atteint au cours des différentes tentatives de désarmement).

La conséquence du conflit libyen.

Al003

Traditionnellement, la prolifération des armes est du fait des stocks mal gérés des armées locales et la contrebande. Malheureusement des milliers d’armes de toutes catégories dérobées à la faveur des pillages des armureries du Guide libyen Mouammar Kadhafi, circuleront vers la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina, traversant probablement l’Algérie.

En plus de l’accroissement exponentiel des armes auquel le conflit libyen a conduit, on retrouve venant de cette tragédie, des milliers de missiles sol-air « Manpads », des « SA 7 » ou des « SA 24 », encore plus sophistiqués (5 000 à 10 000 selon les estimations), et une infinie variété de bombes improvisées, tandis que les armes jusqu’alors connues dans la région étaient assez rustiques.

Le Mali a accueilli en une seule fois, le 16 octobre 2011, un convoi de 80 véhicules, à bord desquels s'entassaient 400 "revenants" lourdement armés, ex-combattants de l'armée libyenne. Quelques mois avant, l’armée nigérienne quant à elle, avait intercepté plus de 600 kilos de Semtex, version tchécoslovaque du plastic.

La liberté de culte et non celle de donner la mort !

Al004 1

Une Nation surarmée n’est pas forcément une nation dangereuse. Les armes deviennent un problème seulement lorsqu’elles échappent au contrôle légal et étatique et peuvent changer radicalement la nature de conflits sociaux mineurs.

« La prolifération des armes prolonge les conflits, les rend plus violents et en empêche la résolution. Elle nuit au respect du droit international humanitaire, menace les gouvernements légitimes, favorise le terrorisme, entretient la criminalité organisée et transfrontalière. Parallèlement à ces conflits armés internes, la période est propice à une recrudescence du grand banditisme et de la grande criminalité transfrontalière en Afrique. Pour beaucoup de groupes de gangs et de bandits de tout genre, l’exercice de la violence était devenu le gagne-pain. Partout des citoyens ordinaires s’organisent pour assurer leur auto défense collective ou individuelle, aggravant ainsi l’accumulation et le débridement du port d’arme au niveau des populations » (source : Plan d’Action National de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères et de Petit Calibre au Mali 2014 – 2018).

La montée des extrémismes violents à travers le monde, y compris chez nous, fait un cocktail dangereux avec la prolifération des armes. La présence incontrôlée des armes crée le sentiment d’être plus fort que l’Etat et une défiance vis à vis de ce dernier.

Malheureusement, les victimes sont civiles et même intra religieuses. Des conflits qui autrefois se réglaient par le dialogue et les voies traditionnelles des obligations et des interdits, ont pris des dimensions d’affrontements sanglants du fait de l’existence des armes. 98% des victimes de ces conflits « de genre nouveau » sont des "musulmans tués par des musulmans".

L'exemple typique de ce cocktail dangereux dont nous parlons, est la "poudrière du Macina" (Macina du nom de l'ancien royaume autocratique, et en son temps, très instable dans la boucle du Niger et la zone inondée du lac Debo), qui mérite une attention particulière et urgente.

Si l’absence de statistiques élaborées rend problématiques les actions planifiées, il existe sûrement d'autres voies à explorer pour circonscrire le péril.

Le Plan d’Action National de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères et de Petit Calibre au Mali 2014 – 2018

Al005La Commission Nationale de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères du Mali, CNLPAL, a élaboré un Plan d’Action National 2014-2018, en partenariat avec l’UNREC et avec l’appui financier de la République Fédérale d’Allemagne.  Ce plan constitue un cadre pertinent qui vient à point nommé pour soutenir les nombreuses actions déjà entreprises par l’Etat et les personnes engagées pour construire une paix durable.

Le Plan National a l’ambition de devenir un « outil de travail dont l’utilisation judicieuse pourra permettre de se débarrasser de toutes les armes légères de petit calibre illégalement détenues par les populations civiles, militaires et paramilitaires », le champ à baliser reste cependant très large, et un tel outil, n’arrive pas trop tôt pour éviter au Mali, tous les drames qui le menacent. 

La Commission Nationale est consciente du rôle déterminant de la société civile, et elle travaille avec des ONG et associations partenaires, FEDEV y comprise, dont les capacités doivent être renforcées. Seule la société civile est à même de mieux identifier, mieux sensibiliser et faire renoncer aux armes, ceux qui n’ont aucune raison de porter ces armes et qui constituent plutôt les forces vives du développement.

Des pistes prometteuses

Dans le Macina plus qu’ailleurs, c'est maintenant et tout de suite qu'il faut agir. L’approche communautaire telle que prévue par le Mécanisme de Soutien au Pays (CSM) de GCERF doit aboutir à un cadre approprié d’actions concertées et complémentaires, où les différends partenaires profitent, chacun de l’expérience de l’autre. Et où on ne donnera pas l’impression de s’attaquer directement aux convictions établies et aux susceptibilités qui sont le pendant de tout extrémisme ("L'écoute et le partage", est l’approche des femmes).

D'autres actions sont attendues et il faut espérer que le futur plan national de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme au Mali, nous apportera plus de réponses.